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Entre ciel et bitume

11 novembre 2006

"Le sage"

jc"Je suis dans un cavot jazz. Assis parmi d’autres adeptes. J’ai tout ce qu’il faut à ma table, jack et cigarettes. Le feu sacré je l’ai aussi, je m’en allume une, souffle en levant la tête la fumée… qui s’envole là-haut dans le ciel alimenter le brouillard bleutée au parfum de nicotine. Je suis habillé panache. Gucci ou Armani, l’un des deux m’habille ce soir… chemise blanche, cravate sombre aux couleurs de la belle brune assise tout près de moi. Comment vous appelez vous chère demoiselle ? Elle me répond Sarah. Sa voix est aussi suave que son accent est envoûtant. Si je ne me retenai pas, j’irai me noyer dans le rouge sang de ses lèvres. Je me retiens, la soirée ne fait que commencer. Garde en moi la promesse de la découvrir de manière plus intime, et me satisfais pour l’instant de la déshabiller du regard… Mais à part ça, qu’est ce que je fous là ? Je ne patiente pas longtemps pour le découvrir, Coltrane se jette sur la scène sous un tonnerre d’applaudissements. Tout le monde se lève pour saluer son entrée. Quant à moi, je ravale ma suffisance et subit une attaque cardiaque sur ma chaise. Ma référence en chair et en os là en face de moi à quelques mètres… Silence ! Les lumières s’éteignent. Seul Trane est sous les feux d’un projecteur accroché au ciel, lueur divine, instant hors du temps, instinct qui me pousse à faire le vide en moi car sa musique va me remplir jusqu’à l’overdose… je le sais, je m’y soumets, que la musique vienne m’engloutir, la victime est consentante !

Il ferme les yeux comme on clôt un chapitre, embrasse le bec de son Selmer comme une femme pourrait vous insuffler la vie avec un seul de ses baisers… Dans les rides de son front coule l’élixir de jouissance. J’ai la chair de poule, mon cœur prêt à faire l’homme canonball, à aller exploser en l’air, finir je ne sais où, aux pieds du Trane peut-être… Maigre tribut pour ce mi-homme mi-dieu. Je n’ose me pincer de peur d’ouvrir les yeux… Même si ce n’est qu’un rêve, que tous les dieux fassent en sorte que celui-ci se termine après que le souffleur de vie ait joué la dernière note de sa musique…

Je retiens ma respiration.

Mesdames et messieurs, Wise One de John Coltrane.

Intro piano, … d’outre tombe vient le son qui m’ensorcèle. Il n’y a plus de passé, de présent ni de futur… Je m’engouffre le corps tout entier dans cette faille temporelle, enivré, mon sang qui circule de manière chaotique comme un défilé de taxis jaunes made in New York entre la 52ème et rue Glacière… mon cerveau manque d’oxygène, des larmes joyeuses font la queue au bord du vide de mes yeux, tout cela va crescent comme le plaisir indéfinissable qui monte telle la lave d’un volcan en furie !

Ne m’écoutez plus, ne soyez plus spectateur… prenez votre vie en main, enfermez-vous dans une pièce, fermez les volets, éteignez les lumières, mettez vous à l’aise, écoutez Wise One de John Coltrane… Agnostiques pessimiste et athées invétérés, faut que je vous prévienne que vous prenez là un risque, celui de nourrir les rangs de tous les croyants du monde, de croire en l’incroyable, d’accueillir en vous la voix d’un tiers indéfinissable dont vous avez nié si longtemps l’éventualité… Mais, écoutez Wise One, si ce n’est pour l’amour de Dieu, faites le pour l’amour de la musique. Ne mourrez pas sans vous laisser imprégner par elle… « On » pourra vous pardonnez tous les pêchés, mais pas cette omission… Se refermeront alors les portes du paradis… finirez tous autant que vous êtes en enfer, là où vous assisterez à des concerts sans le son… Ecoutez mes frères… Album Crescent, track 2, 18,90 euros à la FNAC… un prix dérisoire pour la plus belle des ascensions…

J’ai le cul collé à ma chaise et la tête dans les étoiles… Je fais signe à Gagarine, souffle sur une super nova, demande à sa poussière, rêve de Bunker Hill… costard trois pièces, sans le sou, un verre de vin, on frappe à porte, c’est le loup… je cache mes yeux, ferme la bouche, tend les oreilles, disparait entre un grave et un aigu, quelques mots tapés à la machine, à l’encre de chine de mon sang, silhouette dessinée au fusain, mon sang tâche le livret de mon esprit, Coltrane je suis à genoux devant toi… signe sur mon corps et mon cœur des accorts indélébiles, souffle sur mon front et apaise mon âme de mécréant, baptise moi sur l’autel du sacrifice, éclaire mon existence jusqu’ici noyé dans les ténèbres de l’oubli… Wise One… toi le sage, apprends moi ce que nul ne sait, j’en fais le sermon, que nul autre que moi ne pourrait être à même de propager ton bon phrasé, … cherche en soi, la note bleue, combinaisons diverses doigté en éveille, embouchure parfaite, un doigt sur la gâchette,  un doigt levé au ciel et Dieu pour tous… je me noie dans mes larmes et dans celle de mes ancêtres, mon teint fade sur décors de solitude, … faut-il souffrir pour comprendre, entendre et apprendre ce que nul n’a écrit… Dieu tout puissant, faites en sorte que cette musique survive au jugement dernier, qu’elle résonne comme une bande originale à notre apocalypse… qu’elle rende notre fin supportable… Wise One… de John Coltrane… crucifiez moi sur place !

Le silence. Le froid. Mes yeux s’ouvrent sur un néant, mon corps nu entre quatre murs de lamentations… Et coule de mon cœur ce sang aussi sombre que le noir de mon âme, sur un sol jonché des fleurs du mal… Je vois dans cette flaque qui grandit tout autour de moi, le reflet de ce que je suis."

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